C’est la mi-janvier et je m’apprête à explorer une forêt lavalloise. Prêts pour une virée nature? Suivez-moi!
Nous commençons cette randonnée dans un sentier qui mène à un milieu ouvert, dominé par les arbustes et les hautes herbes. Le sentier est bordé de sumacs vinaigriers, de grands arbustes dont le feuillage vire au rouge écarlate à l’automne.
Les fruits du sumac vinaigrier sont facilement reconnaissables. Il s’agit de petits fruits couverts de poils rouges regroupés en panicules. Les fruits sont persistants en hiver et font le régal de certains oiseaux et des écureuils.
À travers les arbustes, on peut apercevoir un nichoir, familièrement appelé « cabane à oiseaux ». Bien qu’effectivement, ces abris soient destinés à des oiseaux (le merlebleu de l’Est dans ce cas), en plein hiver, les seuls occupants possibles sont des mammifères. Ce nichoir pourrait abriter une souris sylvestre ou bien un écureuil roux par exemple.
Prenons quelques instants pour observer les rameaux (branches) des arbres et des arbustes autour de nous. Contrairement à la croyance populaire, les bourgeons ne poussent pas à l’automne. Les bourgeons sont généralement déjà bien formés à l’automne : au printemps, il ne reste qu’aux bourgeons à ouvrir pour laisser croître les feuilles ou les fleurs. Ici, nous avons un rameau de caryer cordiforme. Les bourgeons de cet arbre sont facilement reconnaissables à leur couleur jaune soufre.
Le tilleul d’Amérique aussi s’identifie assez aisément en hiver. Son gros bourgeon terminal brun-rouge est brillant et de forme relativement triangulaire.
Les bourgeons de l’aulne rugueux, longs et pointus, se reconnaissent bien à leur couleur brune et leur aspect duveteux. La présence de petits poils chez les végétaux se nomme la pubescence.
Cependant, il y a un moyen encore plus facile de reconnaître l’aulne rugueux en hiver. En plus de ses bourgeons, on peut généralement apercevoir ses fruits desséchés. L’aulne rugueux produit des chatons mâles, en forme d’épis allongé, et des chatons femelles, plutôt sphériques. Au printemps, les chatons mâles libèrent les pollens qui viendront féconder les chatons femelles. Vous avez donc compris que les chatons ne sont pas des fruits, mais bien des fleurs. En fait, il s’agit d’un type d’inflorescence, c’est-à-dire un groupement de fleurs. Les fruits résultant de la fécondation des chatons femelles se trouvent entre chaque écaille, ce qui rappelle étrangement les cônes de conifères.
À travers les sumacs vinaigriers, on repère deux jeunes conifères qui se taillent une place. Il s’agit du thuya occidental. Ce nom ne vous dit rien? Pourtant, vous connaissez bien cet arbre indigène : un petit indice, on le cultive souvent en haie. Et oui, c’est bien le cèdre! Bien que son véritable nom soit le thuya occidental, on nomme toutefois un peuplement de thuyas une cédrière : allez savoir!
Ces grands arbres forment un parfait écran pour protéger le marais juste derrière. Très hauts et surplombant à la fois un milieu humide et un milieu ouvert, ces arbres sont très appréciés des oiseaux, qui peuvent scruter les environs et y chanter au printemps.
Les arbres ne sont pas seulement intéressants pour les végétaux qu’ils sont, mais aussi pour les indices de présence animale qu’on peut y trouver. Ici, on voit que cet arbre a été visité par un pic, probablement par un grand pic. Il ne cherchait pas à y installer son nid, mais bien à trouver des insectes à se mettre sous le bec. Les trous d’alimentation se reconnaissent bien à leur aspect grossier : on voit que l’oiseau forait le bois à la recherche de larves. S’il avait excavé une cavité, elle aurait été parfaitement circulaire, d’apparence très soignée et elle aurait débouché sur une chambre pour y installer le nid.
Ce marais est bien situé en termes d’habitat, car ses berges débouchent sur des habitats variés. Si d’un côté le marais fait face à une herbaçaie en transition vers une arbustaie (c’est-à-dire un milieu dominé par les plantes qui se fait progressivement coloniser par les arbustes), ses autres rives tombent sur divers peuplements forestiers. La présence de divers habitats est très intéressante pour la biodiversité, car cela permet à plusieurs espèces d’y vivre. Les écotones (zone de transition entre deux écosystèmes) sont particulièrement intéressantes en termes de conservation, car ils sont fréquentés par de nombreuses espèces.
La présence de plantes herbacées et
d’arbustes au cœur du milieu humide nous indique qu’il s’agit d’un marais. Un marécage forestier, pour sa part, est dominé par les arbres et possède souvent un caractère temporaire. Seuls les arbres adaptés à un mauvais drainage peuvent y vivre. L’étang, quant à lui, est assez profond pour que la végétation terrestre soit limitée à ses berges. On peut trouver des plantes aquatiques au centre d’un étang, mais les plantes terrestres, les arbustes et les arbres n’y survivent pas.
Admirez la majestuosité de ce chicot! Il est sans conteste le roi du marais. Un chicot est un arbre mort qui tient encore debout. Même si on connaît bien les rôles de l’arbre vivant, on ignore généralement la grande importance des chicots pour la faune. Comme on peut le voir ici, plusieurs oiseaux y ont excavé des cavités. Puisque le bois des chicots est mort, il est plus mou, donc plus facile à forer. Les chicots servent également de garde-manger à plusieurs animaux insectivores, ainsi qu’aux invertébrés se nourrissant de bois mort bien entendu. De par la courte taille des quelques branches restantes et de l’absence totale de l’écorce, on sait que cet arbre est mort depuis longtemps déjà.
Observer la nature implique de regarder à différentes hauteurs (au sol, à hauteur des yeux et à la cime des arbres) ainsi qu’à différentes échelles : de très près à très loin. Si on n’y avait pas porté attention, on n’aurait jamais remarqué ces petits fruits rouges. Étrange qu’ils aient poussé entre le tronc et l’écorce relevée de ce chicot non? C’est parce qu’il s’agit de la morelle douce-amère, une plante grimpante introduite d’Europe. Ce n’est pas pour rien que ses fruits rappellent fortement de minuscules tomates italiennes : la morelle douce-amère est dans la même famille que la tomate, soit la famille des solanacées.
Bien que l’on associe généralement la quenouille aux journées d’été au bord du lac, les balades hivernales nous permettent aussi de l’observer! Le Québec abrite deux espèces de quenouilles, soit la massette à larges feuilles et la massette à feuilles étroites. La quenouille est une plante particulièrement intéressante pour ses rôles écologiques, dont la stabilisation des berges des milieux humides où elle croit, ainsi que son utilisation en gastronomie. En effet, plusieurs parties de la plante sont comestibles, comme le rhizome, la base de la tige, les épis mâles encore verts et même le pollen!
Un des dictons les plus véridiques est sans doute celui qui stipule que « la nature a horreur du vide ». Même le tronc de cet arbuste est colonisé par diverses espèces de lichens. Et ça, c’est sans compter tout le microbiote, c’est-à-dire l’ensemble des microorganismes vivant dans un milieu. Il y a des levures, des bactéries, des nématodes et toutes sortes d’autres microbes qui ont tous leur place dans l’écosystème. Certains domaines d’études s’intéressent, par exemple, à la distribution des espèces de bactéries sur les feuilles d’arbre.
Avec son abondance de baies rouges, il va sans dire que cet arbuste attire l’attention sur le marais! Il s’agit d’une magnifique espèce indigène nommée houx verticillé. Ses feuilles n’ont peut-être pas le charme du houx qu’on se représente à Noël, par contre ses fruits n’ont rien à lui envier. Bien que tous les individus produisent de petites fleurs blanches, seuls les plants femelles produisent les fruits. Les oiseaux et autres animaux qui s’en nourrissent attendent tard en hiver avant de les consommer, question que leur taux de sucre augmente et que leur goût soit plus savoureux.
La dense végétation de ce milieu en fait un havre de biodiversité. Les petits animaux peuvent aisément y trouver de quoi se nourrir et se mettre à l’abri des prédateurs. Même en hiver, il y a d’innombrables traces de vie dans le marais.
La nature n’est pas seulement intéressante d’un point de vue scientifique, mais aussi artistique. Cet arbre déraciné offre à nos yeux un spectacle franchement intéressant. Il est rare que l’on puisse observer des racines. Leur organisation est bien différente de celle des branches.
Regardez les mignons petits fruits de cette pruche du Canada. Il s’agit de ses cônes, que l’on appelle familièrement « cocotte ». Si certaines espèces, comme les pins, produisent de gros cônes, ceux de la pruche sont bien modestes. Toutefois, on peut les observer dans le bas des branches, ce qui n’est pas le cas de tous : certains résineux ne portent des cônes que dans leurs branches les plus hautes, à la cime.
La majorité des espèces de lichens ne sont franchement pas faciles à observer. Il faut bien souvent une clé d’identification précise ainsi qu’une bonne loupe stéréoscopique pour arriver à déterminer l’espèce d’un lichen. Seulement parfois, il arrive que certains d’entre eux aient une forme facilement reconnaissable. C’est le cas ici de la lécanore poudre d’érable, ce lichen si mince qu’on dirait qu’il est simplement dessiné sur l’écorce des érables.
Levez les yeux au ciel : vous apercevez ces boules à l’apparence piquante sur ces branches? Nul doute, il s’agit des fruits de l’arbre, dont un rapide coup d’œil à l’écorce nous confirme qu’il s’agit d’un bouleau jaune, l’arbre emblème du Québec. Les chatons du bouleau jaune ne sont pas sphériques, mais plutôt cylindriques : c’est notre perspective d’en dessous qui nous les font voir en forme de pompons.
L’hiver est la saison idéale pour apprécier le feuillage persistant des conifères, qui donne au paysage hivernal une touche de vert. À l’avant-plan, admirons le pin blanc, un des plus grands arbres québécois. Celui-ci est très jeune, mais il pourrait vivre quelques centaines d’années et atteindre 30 mètres de haut. On le reconnaît facilement à ses longues et fines aiguilles groupées par faisceaux de cinq. Leur couleur vert bleuté est aussi caractéristique. À l’arrière, on peut apercevoir un thuya occidental. Contrairement au pin blanc, ses feuilles ne sont pas en forme d’aiguilles, mais bien d’écailles : on dit donc qu’elles sont squamiformes. Et elles ne sont pas vert bleuté, mais plutôt vert jaunâtre.
Tenez, voilà un autre conifère qui croise notre chemin. Celui-ci est différent pour une chose : il ne s’agit pas d’une espèce indigène au Québec. C’est l’épinette bleue du Colorado. Celle-ci a probablement germée ici toute seule : on dit donc qu’elle est une échappée de culture. On reconnaît facilement cette épinette à la couleur très bleutée de ses aiguilles, résultat de la pruine (« poudre ») blanchâtre qui les recouvre. Les trois épinettes indigènes du Québec sont l’épinette blanche, l’épinette noire et, moins connue, l’épinette rouge.
Comment se lasser d’observer des lichens? Leur forme et leur couleur sont tout simplement fascinantes et à la fois apaisantes. Le lichen est un organisme fascinant, surtout qu’il ne s’agit pas d’un seul individu, mais de la symbiose de plusieurs. Un lichen est une association entre un champignon, une algue et apparemment une levure. Puisque c’est le champignon qui donne la structure au lichen, on considère celui-ci comme faisant partie de la fonge (ensemble des champignons vivant dans un milieu donné), ou plus précisément à la lichénofonge.
Le dernier conifère de notre randonnée n’est nul autre que notre beau sapin, roi des forêts. Son nom complet est le sapin baumier, et on le distingue de l’épinette par ses aiguilles aplaties disposées sur deux rangs (un de chaque côté du rameau). Les aiguilles de l'épinette, quant à elles, sont quadrangulaires, donc elles roulent entre les deux, et font tout le tour du rameau sur de multiples rangs, un peu comme une brosse à cheveux. Il n’y a que les rameaux de la cime du sapin baumier qui font exception : puisque la lumière y est abondante, les aiguilles peuvent se permettre de faire le tour du rameau sans se faire trop d’ombre, comme chez l’épinette.
Certains lichens peuvent même être jaunes! Il faut vraiment porter attention à tout si on ne veut pas passer à côté d’une belle observation.
L’hiver, ce n’est vraiment pas la panacée des plantes herbacées. Les plantes dites annuelles meurent complètement, alors que les vivaces sont limitées à leurs parties souterraines jusqu’au retour du beau temps. Chez les espèces assez robustes pour ne pas s’affaisser sous le poids de la neige, on peut apercevoir leurs tiges et feuilles desséchées si l’on est chanceux. Il faut bien entendu que le couvert de neige ne soit pas trop épais, ou que la plante soit haute. Quoi qu’il en soit, c’est toujours une surprise de voir que certaines rares herbacées arrivent à maintenir des feuilles vertes, comme c’est le cas de ce carex.
Un peu partout sur le marais, on remarque des empreintes d’animaux dans la neige. La vie ici est bien active malgré les températures hivernales. Le pistage est un art en soi. Savoir reconnaître l’animal qui a laissé les traces requiert une grande connaissance de la physiologie et de l’écologie de l’animal. La trace rectiligne n’est pas celle d’une couleuvre (qui sont en hibernation de toute façon à cette période de l’année), mais bien d’un petit mammifère, comme un campagnol ou une musaraigne.
Nos petits mammifères ne se contentent pas de marcher à la surface de la neige d’un abri à l’autre. Plusieurs espèces construisent ce que l’on appelle des tanières sous-nivales, autrement dit des galeries qu’ils creusent sous la neige. L’entrée de ces tunnels forme un trou bien dégagé dans la neige.
Saviez-vous que nous avons des lianes au Québec? Contrairement à la croyance populaire, les lianes ne sont pas des végétaux tropicaux qui pendent des arbres, mais bien tout type de plantes grimpantes qui utilisent d’autres végétaux pour se hisser plus proche de la lumière du soleil. Il y aurait 3 espèces de vignes au Québec, les deux plus communes étant la vigne vierge à cinq folioles et la vigne de rivage. Cette dernière produit de petits raisins comestibles qui sont appréciés des oiseaux. Ici, nous pouvons voir la base de deux grosses vignes qui doivent avoir plusieurs années de vie déjà.
Plus tôt, nous parlions des parties aériennes de certaines plantes herbacées qui peuvent être visibles en hiver. Si généralement l’on pense aux tiges et aux feuilles, ici nous n’avons affaire ni à une ni à l’autre. Il s’agit des frondes fertiles de l’onoclée sensible, une magnifique fougère québécoise. Les frondes stériles sont l’équivalent des feuilles pour les fougères, tandis que les frondes fertiles portent les spores. Les frondes stériles et fertiles n’ont pas du tout la même apparence : on parle alors de dimorphisme foliaire. Chez d’autres espèces de fougères, il n’y a qu’un type de fronde, qui fait à la fois de la photosynthèse et porte les spores.
Plus tôt dans la virée, nous avions observé des trous d’alimentation de pic sur un chicot. Voici maintenant une cavité de nidification d’un pic. On voit bien la marge très nette du trou ainsi que sa rondeur parfaite. De plus, la cavité est profonde car elle débouche sur une chambre où l’oiseau y aménage son nid. Les animaux capables de creuser des cavités se nomment excavateurs. Les excavateurs primaires, au Québec, sont uniquement représentés par les pics. On trouve cependant des excavateurs secondaires, c’est-à-dire des animaux qui peuvent excaver une cavité au besoin, mais qui préfèrent en trouver une déjà faite. Nos quatre excavateurs secondaires sont la mésange à tête noire, la mésange à tête brune, la sittelle à poitrine blanche et la sittelle à poitrine rousse. En terminant, les animaux qui ne peuvent creuser de cavités mais qui utilisent celles abandonnées par les excavateurs sont les utilisateurs secondaires. Quelques dizaines d’animaux figurent dans cette liste, principalement des oiseaux et des mammifères.
Parlant d’excavateur primaire, voici un pic mineur. Ce charmant petit pic est très commun au Québec. La tache rouge sur l’arrière de la tête de cet individu nous indique qu’il s’agit d’un mâle : la femelle ne porte pas de rouge. Le pic mineur ressemble énormément à son cousin le pic chevelu, aussi commun et fréquentant les mêmes habitats. On distingue tout de même le pic mineur du pic chevelu par quelques critères : le pic mineur est plus petit, a le bec proportionnellement plus court, possède deux petites taches noires très subtiles sur les plumes externes de sa queue, et enfin, le mâle possède une seule tache rouge (chez le pic chevelu, elle est divisée en deux).
L’absence de feuillage en hiver permet de réaliser des observations qui sont plus difficiles en été. Ici, on peut voir un magnifique nid de guêpes sociales. Ces guêpes construisent des nids de papier qu’elles concoctent en mâchant des feuilles d’arbres. Parfois, on peut voir des feuilles en voie de se faire transformer en papier à l’extérieur du nid. Ces nids sont utilisés seulement pendant une saison. Autre observation intéressante : les petites boules dans l’arbre sont les bourgeons floraux de l’érable argenté.
Voyez-vous les oiseaux dans cet arbre? Il s’agit de deux mésanges à tête noire. Il s’agit d’une des rares espèces d’oiseaux résidentes, c’est-à-dire qui passent l’année au Québec, sans entreprendre de migration. On peut donc les observer en plein hiver un peu partout au Québec. La mésange à tête noire est un oiseau grégaire, il est donc rare d’apercevoir un seul individu.
Voilà que nous croisons à nouveau des sumacs vinaigriers, comme au début de notre Virée NATURE. Ceux-ci portent de magnifiques fruits, encore bien « juteux ». À ce propos, saviez-vous que certaines entreprises exploitant les PFNL (produits forestiers non ligneux) font du jus à partir des fruits de sumac vinaigrier? Comme son nom l’indique, le goût acide du vinaigrier rappelle un peu celui du citron. La sumacade est donc une forme de limonade produite à partir du sumac vinaigrier. Si vous aimez les goûts sûrettes, vous allez apprécier!
Les amateurs de PFNL ne sont pas les seuls à déguster les fruits de sumacs vinaigriers. En hiver, les écureuils roux aiment aussi s’en gaver. Les petits fruits tout éparpillés au sol ici nous informent qu’un écureuil roux est passé par là.
Les guêpes ne sont pas les seules à installer leur nid haut dans les arbres : voici un nid d’écureuil gris. Si celui-ci est petit, les écureuils gris ont l’habitude de construire de gros nids sphériques constitués de feuilles mortes. Ces nids sont généralement installés très haut dans les feuillus.
Voilà que se termine notre Virée NATURE! On se dit à la prochaine pour une autre randonnée de découvertes!